Et si la science de demain reposait sur l’action citoyenne ?

Open science - le développement des sciences participatives

La manière de communiquer et de faire la science de nos jours est largement influencée par le mouvement d’open science. Le terme apparaît formellement en 2012 (Boulton et al, 2012). Il désigne un courant visant à ouvrir la science tant dans son fonctionnement interne que dans ses rapports à la société. Il est, aujourd’hui, à l’origine de différentes politiques de diffusion et de conception de la science. Son implémentation et sa réalisation sont régulièrement discutées et débattues entre les différents acteurs de la science.

 

Un dialogue historique

En 2004, alors que le mouvement d’ouverture de la science (open science) commence à peine à s’inscrire dans les discours politiques, Paul David revient sur les fonctionnements de la science aux siècles précédents (David, 2004). Il expose une science qui ne s’est pas développée qu’entre savants, mais qui reposait véritablement sur des discussions, incluant des collectionneurs, des voyageurs et d'autres personnes sans bagage scientifique spécifique. Il s’agissait d’une science en dialogue entre certains membres du segment citoyen et des savants. Les travaux de Florian Charvolin démontrent la valeur, encore très actuelle, du regard et de l’engagement citoyen dans le développement de la démarche scientifique. Ils soulignent l’aspect essentiel de rapports sans compétition entre citoyens et scientifiques, à l’écoute des discours et des observations mutuelles.

 

La (re)montée en popularité des sciences participatives

Les actions contemporaines de sciences participatives nourrissent aussi bien les sciences naturelles que les sciences humaines et sociales. Florian Charvolin, avec son regard de sociologue, s'intéresse depuis 2014 aux travaux du programme national sur la biodiversité du littoral, BioLit. Il a suivi le programme lors d’une expédition avec les citoyens sur la côte atlantique. Il utilise cette expérience dans ses travaux de recherche; abordant notamment les différentiels de positionnement entre l’amateur et l’expert dans la construction de connaissances (Charvolin, 2017; Charvolin, 2021). Le programme BioLit irrigue également la recherche en écologie et biodiversité. Éric Feunteun, enseignant-chercheur en écologie marine, s’intéresse aux actions de BioLit depuis les débuts du programme étant lui-même l’un des protagonistes de sa création. C’est ainsi qu’avec Bruno Serranito, Tristan Diméglio, Frédéric Ysnel et Anne Lizé, ils ont réalisé ensemble une étude sur les communautés de bigorneaux à partir des données collectées pendant près de 10 ans par les citoyens lors de sorties BioLit (Serranito et al., 2021). Cette recherche gagne en valeur d’une part pour la pertinence des connaissances qu’elle révèle sur les populations de gastéropodes; mais aussi pour la richesse des données qu’elle manipule, moissonnées par des citoyens, forts d’un regard amateur et d’une puissance de répartition géographique très précieuse. Le titre même de l’article : “Small-and large-scale processes including anthropogenic pressures as drivers of gastropod communities in the NE Atlantic coast: A citizen science based approach” que l’on peut traduire en français par “ Processus à petites et larges échelles incluant les pressions anthropiques comme régulateurs des communautés de gastéropodes de la côte atlantique Nord Ouest. Une approche basée sur la science participative.”, clairement alloué à une discipline de sciences naturelles, met en avant l’importance d’un travail reposant sur des sciences participatives.

 

L’implication citoyenne (re)devient un outil populaire en sciences. Des études d’envergures, reposant sur la participation des amateurs dans la création de données de recherches, se développent. Audrey Dussutour, chercheuse en biologie au CNRS est à l’origine d’une étude sur le blob (Physarum polycephalum et Badhamia utricularis) pour laquelle elle utilise un protocole de sciences participatives. L’expérience, lancée au printemps 2022, a demandé l’implication de plus de 10 000 citoyens auxquels a été envoyé un individu d’une des deux espèces. Le projet a bénéficié d'un bel intérêt de la part des citoyens. Le quota de participants attendu a été atteint et l’expérience est largement discutée dans les médias; comme dans cet article du Parisien, qui souligne à la fois le blob en tant qu’objet de recherche mais aussi la méthode de sciences participatives déployée autour du projet. Le CNRS mise sur un protocole expérimental poussé* couplé à une médiation scientifique forte. Plusieurs milliers d’écoles françaises accueillent des blobs. Elles constituent un espace d’apprentissage et de culture scientifique. L'expérience est suivie par les enseignants mais aussi par les chercheurs, qui consacrent un temps considérable à échanger autour du projet avec les enseignants.

 

Science et société à notre époque

Le dialogue entre science et société marque profondément l’identité d’une époque. Il est à l’origine de discussions plurielles et de mesures de gestion à différents niveaux. Inclure le citoyen en tant qu’acteur de la science, impliqué dans les protocoles de collecte de données mais aussi entendu pour ses observations et ses questionnements, constitue un défi incontournable pour nos sociétés.

La science représente un espace très particulier, empreint de luttes, comme les définit Bourdieu (Bourdieu, 1976). Il identifie le champ scientifique : un espace où se jouent des positions sociales, des jeux d’acteurs et des stratégies. Le mouvement contemporain d’open science implique nettement ces rapports et positionnements. Bien qu’il s’agisse d’une initiative à l’intention d’ouvrir largement la science, les rapports complexes qui marquent le champ scientifique sont toujours d’actualité. L’intégration des sciences participatives prend une valeur intéressante lorsque l’on ne considère pas le citoyen comme un simple fournisseur de données, mais comme un acteur, actif et légitime au processus de construction de connaissances. Le citoyen qui devient acteur de ce champ de connaissances, a tout intérêt à s’impliquer, discuter et s’exprimer sur le fonctionnement de la science à laquelle il participe.

 

*pour un programme de sciences participatives pouvant s’effectuer en autonomie.

 

Bibliographie :

BOULTON, Geoffrey, CAMPBELL, Philip, COLLINS, Brian, HALL, Wendy, LAURIE, Graeme, O'NEILL, Onora, RAWLINS, Michael, THORNTON, Janet, VALLANCE, Patrick, WALPORT, Mark..Science as an open enterprise. The Royal Society, 2012.

BOURDIEU, Pierre. Le champ scientifique. Actes de la recherche en sciences sociales, 1976, vol. 2, no 2, p. 88-104.

CHARVOLIN, Florian. Sortie nature, protocole et hybridité cognitive. Note sur les sciences participatives. VertigO: la revue électronique en sciences de l’environnement, 2017, vol. 17, no 3.

CHARVOLIN, Florian. L'importance des cadrages dans l'apprentissage de la connaissance des espèces en sortie de science participative. ¿ Interrogations? Revue pluridisciplinaire de sciences humaines et sociales, 2021, no 32.

DAVID, Paul A. Understanding the emergence of ‘open science’ institutions: functionalist economics in historical context. Industrial and corporate change, 2004, vol. 13, no 4, p. 571-589.

SERRANITO, Bruno, DIMÉGLIO, Tristan, YSNEL, Frédéric, LIZE, Anne, FEUNTEUN, Eric.  Small-and large-scale processes including anthropogenic pressures as drivers of gastropod communities in the NE Atlantic coast: A citizen science based approach. Science of the Total Environment, 2021, p. 151600.

 

Rédacteur : L. Pergola